Il roulait, le bougre !
Un mot, un simple mot à la hâte, car le temps presse, et, d’une plume alerte, finissons-en – sauf à y revenir – avec cette agaçante énigme de la marche du serpent.
Encore ce matin, me parvint sur ce sujet une centaine de missives que mon regard eut à peine, hélas ! le loisir d’effleurer.
Comme toujours en pareil cas, cette marée de correspondance pourrait se parquer aisément en deux biens divers courants : celui des gens sérieux, l’autre des plaisantins.
À ceux-ci, mon plus gracieux haussement d’épaules.
Examinons rapidement l’argument des premiers.
Parmi les gens sérieux, beaucoup d’ecclésiastiques...
(Un, entre autres, qui signe « Mgr Richard », mais dont je crois devoir considérer comme apocryphe la correspondance, écrite qu’elle est sur du papier au chiffre de la Brasserie Tourtel, établissement bien connu pour jouir peu de la clientèle de Son Éminence.)
Ces messieurs prêtres s’expriment (je résume) ainsi :
« Avant la malédiction divine, avant que Jehovah l’eût condamné, lui et sa descendance, à ramper sur le sol, le serpent marchait.
« Il marchait, monsieur, comme vous et moi, sur des pattes, organes que, du coup, dans sa colère, lui abolit le Très-Haut. »
Admettons.
Mais pourquoi le Bon Dieu, qui ne voulut point que dans la Nature la perte d’organes par traumatisme fût ataviquement transmissible (Ex. : la circoncision), a-t-il admis le cas pour notre seul serpent ?
Quel manque de suite dans les idées !
Quelle absence d’organisation !
Des ecclésiastiques, passons aux transformistes.
« Dans l’Origine, assurent ces messieurs graves, le serpent marchait.
« Il marchait, monsieur, comme vous et moi, sur des pattes, organes que, de génération en génération, certaines conditions d’existence, des besoins spéciaux, arrivèrent à supprimer.
« Ainsi, certains mammifères abandonnés à la carrière maritime n’ont-ils plus de pattes, et des oiseaux (le pingouin, par exemple) presque plus d’ailes ! »
Admettons.
Mais c’est tout de même, vous avouerez, dur d’admettre ces conditions de vie qui vous – c’est le cas de le dire – cassent bras et jambes, quand vous n’avez, pour y suppléer, ni ailes, ni nageoires, ni subterfuge quelconque analogue.
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Comme je le disais plus haut, le temps presse.
Pour en terminer – sauf à y revenir – avec cette passionnante question, entrebâillons légèrement la porte à l’élégante solution.
Avant de ramper, le serpent roulait.
Saisissant délicatement sa queue entre les dents, le serpent composait ainsi comme un cerceau.
Un cerceau semblable à quelque pneu gonflé.
Une simple inclinaison de tout son corps dans la direction voulue, et le voilà parti.
Pascal – à moins pourtant que ce ne fut un autre – a dit de l’homme qu’il était un roseau pensant.
Le serpent se contentait, lui, d’être un cerceau vivant.
Mais soyez tranquilles, nous y reviendrons.